Utiliser les eaux non potables : quelles solutions possibles ? quels risques sanitaires ?
Face à la raréfaction de la ressource en eau, les pratiques d’utilisation d’eaux non potables, telles que les eaux usées ou encore les eaux de pluie, font l’objet d’un intérêt croissant. Leur utilisation peut en effet servir à de nombreux usages : irrigation de cultures ou d’espaces verts, arrosage, nettoyage des sols et des voitures ou encore alimentation des chasses d’eau. Toutefois, ces eaux peuvent contenir des micro-organismes pathogènes et des substances chimiques organiques ou minérales parfois toxiques. Le point sur les usages autorisés et les recommandations de l’Anses.
Pourquoi utiliser les eaux non potables ?
Les pressions sur les ressources naturelles en eau liées à l’urbanisme, l’industrie, l’agriculture sont fortes et augmentent avec le dérèglement climatique. Ces pressions entraînent à la fois la raréfaction des ressources en eau, une détérioration de leur qualité et des difficultés à satisfaire les besoins en eau de bonne qualité et en quantité suffisante pour l’ensemble des utilisations attendues.
Dans ce contexte, les pratiques d’utilisation d’eaux de différentes natures et pour divers usages, en remplacement du seul recours à l’eau potable, se développent. La « réutilisation » de ces eaux est en effet un moyen de limiter les prélèvements dans les ressources naturelles en eau.
Dans son plan d’action « eau » de mars 2023, le Gouvernement a confirmé l’intérêt du recours à ces eaux et a fixé un objectif de développer 1000 projets d’ici à 2027.
La réutilisation de l’eau : une évaluation bénéfice/risque
L’utilisation des eaux non potables consiste à stocker et à utiliser ou réutiliser l’eau, après traitement éventuel, plutôt que de la rejeter dans le milieu naturel. Elle limite ainsi les prélèvements dans les ressources naturelles.
Toutefois, lorsque certains territoires sont en état de sécheresse, les rejets des eaux non potables, et particulièrement les eaux usées traitées, peuvent profiter aux cours d’eaux de surface. Il convient donc d’analyser chaque projet dans sa globalité et de peser le bénéfice/risque de réutiliser ces eaux plutôt que de les rejeter dans le milieu naturel. L’Anses considère que le recours aux eaux non potables doit s’inscrire dans une approche globale de gestion des eaux, intégrant notamment les économies d’eaux et la recherche de fuites sur les réseaux.
Pour quels usages réutiliser ces eaux ?
Les eaux non potables peuvent potentiellement être utilisées pour des usages variés, par exemple :
- agricoles : irrigation directe ou alimentation de canaux d’irrigation ;
- industriels : production d’énergie, alimentation des systèmes de refroidissement des tours aéro-réfrigérantes, lavage de voitures en station, etc. ;
- urbains : arrosage des espaces verts, lavage de la voirie, réserve incendie, chauffage urbain, hydrocurage des réseaux d’assainissement, etc. ;
- usages domestiques : alimentation des chasses d’eaux, lavage du linge, nettoyage des sols en intérieur et des surfaces extérieures, arrosage du potager, etc. ;
- récréatifs : irrigation de golfs, alimentations d’étangs, de bassins ornementaux ou d’étendues d’eaux utilisées pour des sports (canoé, voile, planche à voiles), etc. ;
- environnementaux : recharge artificielle de nappes d’eau souterraine, alimentation de bassin d’agréments, irrigation de forêts ou de zones humides, etc.
Dans certains pays subissant un fort stress hydrique, les eaux non potables peuvent être utilisées pour produire de l’eau destinée à la consommation humaine.
Quel est le rôle de l’Anses ?
Dans le domaine de la réutilisation des eaux, l’Agence réalise des expertises pour évaluer les risques pour la santé et l’environnement :
- en amont de l’élaboration du cadre réglementaire ;
- en appui aux autorités compétentes sur des projets de texte réglementaire ;
- sur des projets expérimentaux.
Cette évaluation des risques tient compte à la fois des dangers inhérents à chaque type d’eau dont la réutilisation est envisagée, aux moyens de traitement disponibles compte-tenu des usages prévus et aux dispositions de contrôle et de surveillance nécessaires pour en assurer la maîtrise.
Quelles sont les solutions de réutilisation des eaux actuellement autorisées en France ?
En France, les recours aux eaux non potables qui sont autorisés à l’été 2024 concernent essentiellement :
- les eaux de pluie, les eaux douces, eaux de puits et de forages, les eaux grises (issues des douches, des baignoires, des lavabos et des lave-linges) et les eaux issues des piscines à usage collectif pour des usages domestiques ;
- les eaux réutilisées dans les entreprises du secteur alimentaire ;
- les eaux usées urbaines traitées pour l’irrigation agricole et l’arrosage des espaces verts ;
- les eaux usées urbaines traitées pour d’autres usages, comme les usages urbains.
La réutilisation des eaux non potables pour des usages domestiques
Le décret et l’arrêté du 12 juillet 2024 relatifs aux utilisations d'eaux non potables autorisent l’utilisation de cinq types d’eaux, avec pour chacun un profil de contamination particulier :
- les eaux de pluie récoltées en aval des toitures inaccessibles,
- les eaux douces,
- les eaux de puits et de forage,
- les eaux grises issues des douches, des baignoires, des lavabos et des lave-linges,
- les eaux issues des piscines à usage collectif.
Ces eaux peuvent être utilisées pour les usages domestiques suivants, chez les particuliers ou dans certains bâtiments non destinées à l’habitation (y compris ses espaces extérieurs) :
- le lavage du linge ;
- le lavage des sols en intérieur ;
- l’arrosage des jardins potagers ;
- l’alimentation des fontaines décoratives non destinées à la consommation humaine ;
- l’évacuation des excrétas (chasses d’eau) ;
- le nettoyage des surfaces extérieures dont le lavage des véhicules lorsqu’il est réalisé au domicile ;
- l’arrosage des toitures et murs végétalisés et des espaces verts à l’échelle du bâtiment.
En fonction du type d’eau non potable, de l’usage considéré et du fait que le bâtiment reçoit ou non du public sensible, l’utilisation fera l’objet d’une autorisation du Préfet ou d’une simple déclaration.
En 2023, l’Agence a rendu un avis relatif au projet d’encadrement réglementaire de ces eaux pour les usages domestiques cités ci-dessus. Elle indique que le recours à des eaux non potables dans le cadre des usages domestiques introduit des risques sanitaires potentiels pour les usagers, qui sont variables selon la qualité biologique et/ou chimique des eaux brutes réutilisées et les usages prévus. L’Anses préconise donc que tous les usages impliquant la circulation d’eaux non potables à l’intérieur des bâtiments soient encadrés par des critères de qualité pour limiter l’impact en cas de mélange accidentel d’eaux.
Précédemment, l’Anses avait rendu deux rapports et avis :
- En 2015, au regard des données disponibles à l’époque, l’Agence avait estimé dans son avis qu’une réutilisation des eaux grises dans l’habitat ne peut être envisagée que pour des usages strictement limités, dans des environnements géographiques affectés durablement et de façon répétée par des pénuries d’eau. Elle avait recommandé que, sous réserve de la mise en œuvre d’un traitement et de mesures de gestion du risque appropriées, les eaux grises traitées pouvait être réutilisées, si elles répondent à des critères de qualité précis, pour uniquement trois usages domestique : l’alimentation de la chasse d’eau, l’arrosage des espaces verts excluant potagers et usages agricoles, le lavage des surfaces extérieures sans génération d’aérosols c’est à dire sans utilisation de nettoyeur à haute pression.
- En 2016, l’Agence a rendu un avis relatif à l’utilisation de l’eau de pluie pour le lavage du linge chez les particuliers. Faute de données disponibles sur cette pratique, l’Agence avait recommandé que l’eau de pluie ne soit pas utilisée pour laver le linge des personnes vulnérables incluant notamment les jeunes enfants, les personnes immunodéprimées et les personnes en hospitalisation à domicile.
Pourquoi utiliser de l’eau non potable dans un bâtiment est-il risqué ?
L’utilisation d’eaux non potables dans l’habitat nécessite l’installation d’un réseau distinct du réseau de distribution d’eau destinée à la consommation humaine (EDCH). Or les retours d’expériences montrent que l’utilisation simultanée d’eaux potables et non potables dans le même bâtiment peut induire des risques pour la santé des personnes en cas de mélange d’eaux, de mésusage, de perte de maîtrise du réseau, de négligence.
Pour en savoir plus :
- Avis relatif aux « projets de décret et d'arrêté relatifs à l'utilisation d'eaux non potables pour certains usages domestiques »
- Réutilisation des eaux grises pour des usages domestiques : une pratique à encadrer
- Utilisation de l'eau de pluie pour le lavage du linge chez les particuliers : les recommandations de l’Anses
La réutilisation des eaux dans les entreprises du secteur agroalimentaire
Certaines industries agroalimentaires, du fait de leur activité, ont des besoins en eau très importants et sont à la recherche de solutions alternatives à l’emploi d’eau potable, pour quatre typologies d’usage :
- Sans contact avec les denrées alimentaires. Par exemple, les eaux utilisées dans les circuits de refroidissement ou de chauffage ;
- En contact indirect. Par exemple, les eaux utilisées pour le lavage des surfaces entrant en contact avec les denrées ;
- En contact direct. Par exemple, les eaux utilisées pour le lavage des produits bruts ;
- Comme ingrédient entrant dans la composition des denrées alimentaires.
Les types d’eaux pouvant être réutilisées, avec ou sans traitement préalable selon le type d’eau, sont également variés : par exemple, les eaux usées traitées en station d’épuration, les eaux utilisées lors des opérations de préparation des aliments ou les eaux extraites des matières premières alimentaires. Les risques de contamination des denrées alimentaires sont donc très variables en fonction de l’usage et du type d’eau utilisé.
Le décret du 24 janvier 2024, le décret du 8 juillet 2024 modifiant le code de la santé publique et l’arrêté du 8 juillet 2024 précisent les usages, les conditions et les exigences dans lesquelles les eaux peuvent être réutilisées dans les industries agroalimentaires.
Dans son avis relatif à l’encadrement réglementaire d’utilisation de ces eaux, l’Anses a souligné que les enjeux sanitaires liés à cette réutilisation sont majeurs. Cette réutilisation requiert beaucoup de technicité et de vigilance quant à la qualité de l’eau produite, car les enjeux de santé publique sont importants surtout s’il y a contact avec les aliments ou utilisation dans leur fabrication. Ceci demande une attention forte des professionnels, ainsi que des services de l’État.
L’Agence avait ainsi préconisé :
- d’éliminer à la source les risques les plus importants, en écartant le recours aux eaux réutilisées en tant qu’ingrédients dans la composition des denrées alimentaires ou en contact direct avec les produits crus consommés en l’état, et en écartant l’utilisation de certaines catégories d’eaux usées comme les eaux provenant des toilettes par exemple ;
- une approche globale des impacts associés, en prenant également en compte la santé des travailleurs et l’impact sur l’environnement ;
- d’intégrer de nouvelles exigences en matière de séparation, d’identification et d’absences de retours entre les circuits d’eaux correspondants aux différentes catégories d’eaux, notamment le circuit d’eau potable.
La réutilisation des eaux usées urbaines traitées pour l'arrosage des espaces verts ou l'irrigation des cultures
En France, la réutilisation d'eaux usées urbaines traitées est vue comme une alternative intéressante pour l'irrigation de cultures ou l'arrosage d'espaces verts. Dans certaines situations, cette pratique pourrait en effet permettre de prévenir la pénurie d’eau et de préserver la ressource en eau, notamment en périodes de sécheresse prolongée ou dans des zones de faible disponibilité des ressources en eau.
Les conditions de réutilisation d’eaux usées traitées pour les usages d'irrigation de cultures ou d'arrosage d'espaces verts sont soumises depuis 2010 à encadrement réglementaire afin de prévenir les risques sanitaires liés à cette pratique.
L’Anses a réalisé entre 2008 et 2012 des travaux d’évaluation des risques sanitaires qui ont contribué à l’établissement de la réglementation française encadrant les conditions de réutilisation d’eaux usées traitées pour ces usages. L’Agence souligne en particulier que les résidents, les passants ou les professionnels employés aux tâches d'arrosage peuvent être exposés par aspersion lors des opérations de réutilisations d'eaux usées traités. En conséquence, l'Agence a formulé plusieurs recommandations incitant à compléter les dispositions réglementaires, en particulier des prescriptions techniques spécifiques à l’irrigation par aspersion d’eaux usées traitées (vitesse de vent maximale, distance de sécurité) et des recommandations visant à la limiter l’exposition des résidents, passants et professionnels via l’information du public ou l’interdiction de l’accès du site pendant et après l’irrigation.
Depuis 2020, la réutilisation des eaux usées urbaines traitées pour l’irrigation agricole est encadrée par le règlement européen (UE) 2020/741 du 25 mai 2020 qui fixe à l’échelle communautaire des exigences minimales relatives à des qualités d’eau en fonction des usages. La réglementation française a donc été mise en conformité avec les dispositions de ce règlement pour l’irrigation des cultures et l’arrosage des espaces verts, et l’Anses a émis en amont un avis sur ces projets de texte.
Pour en savoir plus :
- Avis et rapports sur la réutilisation des eaux usées traitées pour l'irrigation des cultures, l'arrosage des espaces verts par aspersion et le lavage des voiries" (2012)
- Avis de l'Anses relatif au projet d'arrêté relatif aux conditions de production et d'utilisation des eaux usées traitées pour l'irrigation de cultures ou d'espaces verts (2023)
La réutilisation des eaux usées traitées pour d’autres usages, comme les usages urbains
Lorsque les conditions sanitaires sont respectées, un décret du 29 août 2023 donne la possibilité aux préfets d’autoriser l’utilisation d’eaux usées traitées pour d’autres usages comme des usages urbains (lavage des voiries par exemple). Cette autorisation est possible uniquement sous réserve du respect d’exigences de qualité fixées localement et avec un réexamen du projet local a minima tous les 5 ans.
Ce même décret définit les conditions dans lesquelles des eaux de pluie qui sont collectées à l'aval de surfaces inaccessibles peuvent être utilisées pour des usages non domestiques, et ce sans autorisation particulière.