Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’ article original . Adopté par l’Union européenne en 2006, le règlement Reach (Registration, evaluation, authorization of chemicals, soit enregistrement, évaluation et autorisation des produits chimiques en français), qui encadre la fabrication et l’utilisation des substances chimiques en Europe, a souvent été critiqué pour ses lenteurs et sa complexité. Au point que sa révision a été jugée nécessaire par certains dans le cadre du Pacte vert (Green Deal) européen, avant d’être finalement reportée par la Commission européenne. Différentes ONG avaient souligné la nécessité d’une telle réforme. La commission des Affaires européennes a relancé le sujet en février 2024 et une résolution est en cours d’examen. Ce n’en reste pas moins une réglementation européenne ambitieuse et indispensable pour protéger la santé humaine et l’environnement des dangers et des risques liés aux substances chimiques. Même imparfaite, elle constitue un progrès par rapport au cadre réglementaire précédent. C’est Reach qui a permis d’interdire le controversé bisphénol A dans certains produits comme les biberons. Il représente un exemple de réussite pour l’Europe, sur lequel il est utile de revenir, à quelques jours des élections européennes de 2024. Reach, mode d’emploi Le fonctionnement de Reach n’est pourtant pas si difficile à comprendre, pour peu qu’on distingue les différentes étapes qu’il implique. La première étape est l’enregistrement des substances . Les industriels ont l’obligation de transmettre (voire de produire, s’il n’existe pas de données préexistantes) toute une gamme d’informations sur les propriétés physico-chimiques, toxicologiques et écotoxicologiques des substances qu’ils fabriquent ou importent. Contrairement aux règlements et directives précédents, Reach fait reposer la charge de la preuve sur les entreprises. Pour se conformer au règlement , les entreprises doivent elles-mêmes identifier et gérer de façon adéquate les risques liés aux substances qu’elles fabriquent et commercialisent dans l’UE. Elles doivent notamment démontrer de quelle façon la substance peut être utilisée en toute sécurité, et communiquer les mesures de gestion des risques aux utilisateurs. La seconde étape consiste à vérifier que les dossiers transmis par les industriels sont conformes. Ainsi l’ECHA a la charge de vérifier si le(s) dossier(s) d’enregistrement pour une substance sont complets ou s’il manque des informations exigées par le règlement. Cette procédure s’appelle l’analyse de la conformité . Ensuite, si des préoccupations particulières sont identifiées, les substances pourront être évaluées , ceci pour garantir l’absence de risques pour la santé humaine et l’environnement. Pour cela, on utilise les données communiquées par les industriels lors de la première étape. Cette procédure est réalisée par les États membres (dont l’Anses pour la France ) et permet de demander des informations supplémentaires aux industriels pour répondre aux préoccupations identifiées sur les substances. Le choix des substances évaluées est souvent basé sur les priorités nationales des États en termes de santé publique. Voilà pour les grandes étapes. Mais il existe quelques subtilités importantes pour bien comprendre les enjeux de cette procédure : Concrètement, que se passe-t-il lorsqu’un État membre décide d’évaluer une substance ? Celle-ci est inscrite au plan continu d’action communautaire (Community rolling action plan, CoRAP), ce qui signifie qu’un État membre l’a évaluée, va ou est en en train de l’évaluer. Il s’agit de plans portant sur les trois années à venir . Qu’entend-on par évaluation d’une substance chimique ? Il s’agit d’une évaluation approfondie des données techniques et scientifiques fournies par l’industriel lors de son enregistrement. Elle doit permettre d’identifier les informations complémentaires à demander aux déclarants pour lever tout doute identifié concernant les dangers ou les risques liés à la substance. Une fois que les informations complémentaires ont été fournies et de nouveau évaluées, différentes procédures peuvent être envisagées dans le cadre de Reach, s’il s’avère que des mesures de gestion doivent être mises en place : proposition d’identifier la substance comme substance extrêmement préoccupante (SVHC, pour Substance of Very High Concern), proposition de restriction de l’usage de la substance, proposition de classification et d’étiquetage (effets cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, sensibilisant pour les voies respiratoires, etc.), ou encore des actions ne relevant pas du règlement Reach, comme une proposition de limites d’exposition professionnelle à l’échelle européenne, de mesures nationales ou encore d’actions volontaires des entreprises. Le bisphénol A, un cas emblématique Un exemple emblématique de réussite du règlement Reach est celui du bisphénol A (4,4’-Isopropylidenediphenol). En 2017, l’Allemagne a d’abord évalué la substance. Suite à quoi : Elle a été classée comme substance reprotoxique dans le cadre du Règlement CLP. Elle a été identifiée comme substance extrêmement préoccupante (SVHC) pour son caractère reprotoxique , son caractère de perturbation endocrinienne pour la santé humaine et aussi pour l’environnement . Il a été recommandé de la placer dans la liste des substances SVHC devant être soumises à autorisation. Même si ces différentes mesures de gestion ont été attaquées en justice par les industriels, y compris avec des procédures d’appel, toutes ont été entérinées . Elles ont porté leurs fruits, comme le montre un rapport de l’Agence européenne de l’environnement (EEA), selon lequel la concentration en BPA semble diminuer dans l’urine des Européens – contrairement aux autres bisphénols. Le rôle joué par l’Anses L’ Anses , comme d’autres agences de l’espace économique européen, participe à la mise en œuvre de Reach et de ces différentes procédures en appui des autorités françaises. Elle produit notamment une partie des dossiers d’identification des substances très préoccupantes (SVHC). Ces dossiers permettent de les inclure par la suite à l’annexe XIV du règlement Reach , qui liste les substances soumises à autorisation. Celles-ci ne pourront alors plus être utilisées en dehors des usages bien définis pour lesquels la Commission européenne aura accordé une autorisation. Cette autorisation peut être octroyée par décision de la Commission, s’il est démontré que le risque est maîtrisé ou que les bénéfices socio-économiques sont supérieurs aux risques en l’absence d’alternatives. Une substance, pour être inscrite à l’annexe XIV, doit au préalable avoir été identifiée comme substance SVHC. Cette procédure est destinée à assurer le contrôle et le remplacement progressif des substances SVHC par des substances plus sûres pour la santé et/ou l’environnement. L’Anses élabore aussi des dossiers de restriction , qui comprennent notamment l’analyse des impacts socio-économiques de la restriction envisagée. La restriction est un outil permettant de limiter, voire d’interdire la fabrication, l’usage et/ou la mise sur le marché d’une substance soit telle quelle, soit incluse dans un mélange ou encore dans un produit où un risque inacceptable pour l’homme ou l’environnement a été identifié. Enfin, l’Anses produit des dossiers de classification harmonisée – celle-ci concerne en priorité les cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction et les sensibilisants respiratoires. Ils permettent d’ajouter la substance chimique à l’annexe VI du règlement relatif à la classification, l’étiquetage et l’emballage (CLP), et aux États membres de s’accorder sur une classification commune dite « harmonisée ». Il est ensuite obligatoire, pour l’industriel, de communiquer la classification retenue sur l’étiquetage du produit. Cela permet d’informer les utilisateurs (et en particulier les travailleurs) de ses dangers et de prendre toute mesure appropriée afin d’éviter une exposition prolongée et de limiter les risques pour leur santé. Un règlement utile mais perfectible Reste que le règlement pourrait être amélioré. Malgré les efforts des autorités européennes, tous les industriels ne jouent pas le jeu du fait du coût de la procédure d’enregistrement, notamment les plus petites entreprises . L’institut allemand pour l’évaluation des risques (BfR) notait ainsi en 2018 que 31 % des substances chimiques produites ou importées dans l’Union européenne dans des quantités supérieures à 1000 tonnes par an ne respectent pas le règlement Reach. En réaction, l’ECHA a amélioré sa gestion des données relatives aux substances chimiques . Ce qui ne satisfait pas les industriels, qui lui reprochent de proposer des classements ou de demander de nouveaux tests des substances sans toujours avoir des justifications toxicologiques valides , alors que ces demandes visent à combler les lacunes des dossiers d’enregistrement fournis par ces mêmes industriels et à limiter le recours à des tests sur les animaux. C’est la principale limite de Reach : le règlement repose en grande partie sur les données transmises par les industriels pour évaluer les dangers et les risques inhérents à une substance chimique. Or, ces données peuvent être limitées, obsolètes, voire même absentes des dossiers d’enregistrement et contraindre l’évaluateur à demander des informations complémentaires, au risque de compromettre l’efficacité et la rapidité de l’évaluation des risques et de la prise de décision. De ce fait, les processus d’évaluation des dossiers et des substances puis l’examen des demandes d’autorisation sont longs , ce qui peut retarder la mise sur le marché de nouvelles substances plus sûres et plus innovantes, ce qui est critiquable d’un point de vue sanitaire. De même, de nombreuses substances potentiellement dangereuses déjà sur le marché et n’ont pas encore été évaluées ou réglementées aussi strictement qu’elles le devraient. La révision